Ne pas surfer, c’est encore surfer
Il y a des jours sans. Pas de vagues, ou trop de vagues. Pas de planche sous le bras. Parfois même pas l’envie. Et pourtant… ce sont peut-être ces jours-là qui nous font comprendre pourquoi on surfe.
Il y a cette attente. Ce moment au bord de l’eau où l’on regarde les séries passer, sans y aller. Pas par peur. Pas toujours. Par respect parfois. Ou parce que l’on sait que ce n’est pas pour nous aujourd’hui. Et c’est OK. Surfer, ce n’est pas qu’une question de glisse, de take-off réussi ou de manœuvre posée. C’est aussi tout ce qu’il y a autour.
Il y a le regard. Celui qu’on porte sur les autres, depuis le sable ou le parking. L’observation, attentive ou distraite, d’un ride bien senti, d’un wipeout drôle ou d’un visage concentré. Il y a ce plaisir étrange à deviner comment la vague va casser, à sentir le vent tourner, à comprendre, peu à peu, le langage de l’eau.
Et puis il y a l’attachement. Celui qui se construit dans le silence des jours creux. Ce moment où tu t’assois sur le sable, seul·e ou à deux, à regarder l’océan faire sa vie sans toi. Il ne t’attend pas. Mais toi, tu sais que tu reviendras.
Ne pas surfer, c’est encore faire partie du surf. C’est le vivre autrement, avec plus de distance peut-être, mais pas moins de passion. C’est apprendre à écouter, à sentir, à rester en lien avec ce qui t’échappe. Et parfois, c’est encore plus fort que la glisse elle-même.
Première mousse, premiers doutes
On ne parle pas assez du début. De ce moment où tu poses pour la première fois ton ventre sur une planche trop longue, trop lourde, trop glissante. Où tu avances à peine, que la mousse t’éclate au visage, et que ton corps tout entier se demande : « Qu’est-ce que je fais là ? ».
C’est un drôle de sport, le surf. Il ne t’accueille pas toujours avec douceur. Il ne te donne pas de gratification immédiate. Il faut apprendre à tomber, à boire la tasse, à ramer sans avancer, à viser à côté, à se relever, encore. Et ça, au début, c’est violent. Parce qu’on croyait que ça allait être fluide. Stylé. Sauvage. Instagrammable. Et on se retrouve à grelotter sur un spot inconnu, le nez qui coule et les bras en compote.
Mais au fond, c’est là que ça commence vraiment. Dans l’humilité. Dans les ratés. Dans ces instants gênants où tu croises le regard d’un local qui n’a même pas besoin de te juger, parce que tu te juges déjà très bien tout·e seul·e.
Et pourtant… pourtant tu reviens. Le lendemain. Ou la semaine d’après. Parce qu’entre deux gamelles, tu as senti un petit quelque chose. Une mini glisse. Une demi-seconde où tout s’aligne. Tu ne sais pas ce que c’était, mais tu veux le retrouver. Alors tu continues.
Les premiers doutes ne partent jamais vraiment. Et c’est peut-être ça, aussi, qui rend ce sport si vivant. On ne devient jamais totalement sûr de soi. On s’habitue juste à danser avec l’incertitude.
La mer change, et toi aussi
Tu crois connaître l’endroit. Tu y es venu dix fois, cent fois. Même plage, même roche, même orientation. Et puis un jour, quelque chose a bougé. Ce n’est plus tout à fait pareil. La lumière est différente. La houle arrive autrement. Tu rames, mais l’eau semble plus lourde. Tu te lèves, mais la vague ne porte pas. Tu attends, et tu sens que ce n’est pas le bon moment.
La mer change. Toujours. Et toi aussi.
Ce que tu attendais d’elle l’an dernier, ce n’est plus ce que tu cherches maintenant. Peut-être que tu venais pour l’adrénaline, aujourd’hui tu viens pour la paix. Peut-être que tu voulais prouver quelque chose, maintenant tu veux juste ressentir. Il n’y a pas une bonne raison de surfer. Il y a juste des moments, des besoins, des âges aussi.
Et si tu l’écoutes bien, elle te le dit. L’océan parle, à sa manière. Il t’apprend à lâcher prise, à ralentir, à changer d’avis. Il te montre que la maîtrise est une illusion, que la vraie grâce vient quand tu acceptes de ne pas tout contrôler.
Ce n’est pas que la mer est capricieuse. C’est qu’elle t’oblige à être présent·e, sincère, et adaptable. Elle est ton miroir : mouvant, vaste, indomptable.
Et peut-être que c’est pour ça qu’on revient. Parce que dans cette instabilité, on trouve une forme d’ancrage.
Ceux qui regardent
Il y a les surfeurs. Et puis il y a ceux qui regardent.
Assis dans le sable, perchés sur la digue, accoudés à une rambarde en bois. Parfois ils connaissent. Parfois pas. Parfois ils attendent quelqu’un. Parfois ils attendent juste. Le regard dans le vague. Dans les vagues.
C’est étrange comme le surf attire les regards, même quand on ne comprend pas tout. Même quand on ne surfe pas. On reste là, fasciné·e par le rythme, la répétition, l’effort. Par cette danse entre le corps et l’eau. Ce va-et-vient inlassable, presque hypnotique.
Parfois c’est un parent, un·e ami·e, un amoureux, une promeneuse. Parfois c’est un photographe. Ou juste quelqu’un qui passait là, au bon moment. Le surf produit une forme de spectacle doux, sans mise en scène. Et ceux qui regardent font partie de ce théâtre discret.
On oublie souvent de parler d’eux. Ceux qui applaudissent à voix basse, qui plissent les yeux au loin, qui devinent si la vague sera bonne avant même qu’elle ne casse. Leur silence est précieux. Il dit quelque chose du lien entre mer et terre. Entre action et contemplation.
Et toi ? As-tu déjà pris le temps de t’arrêter, juste pour regarder ? Sans planche, sans chrono, sans objectif. Juste être là.
Peut-être qu’à ce moment-là, tu étais déjà un peu dans l’eau, sans t’en rendre compte.